Dans le cadre de Lille3000, Anoushka Shankar a été invitée à venir se produire à l’Opéra de Lille, deux soirs de suite. Cette sitariste, fille de Ravi Shankar, a sorti un album, Rise, en 2005 avec ses propres compositions, mélanges de musiques classiques et modernes. Elle est venue nous présenter son œuvre en live, lors de l’un de ses trop rares concerts en Europe.

Ayant appris l’évènement assez tard, on a quand même réussi à avoir des places pour la voir à l’Opéra.Nous n’y étions jamais allés, et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est luxueux. Nous sommes placés dans le parterre, au milieu de la salle sur la gauche, donc rien à redire de ce côté. La scène est surélevée d’une petite estrade ou on aperçoit les tablas (percussions indiennes) mais aussi des instruments plus conventionnels comme un piano et un synthétiseur sur la gauche de la scène, et une batterie sur la droite.

La salle se remplit vite, le public est celui auquel on peut s’attendre lors d’un évènement culturel à la mode à l’Opéra. Peu de gens semblaient connaître l’œuvre d’Anoushka Shankar et je doute que ceux qui ne connaissaient pas achètent son album après le concert, le but affiché par certain étant clairement « se montrer » plutôt que « voir et entendre ».
Mais passons, nul doute que la musique d’Anoushka Shankar a du en envoûter plus d’un, et c’est ce qui compte.

Les musiciens entrent sur scène dès que la salle est pleine, avec un petit peu de retard. Ils saluent, très simplement à la mode indienne, la plupart vêtus de blanc, et Anoushk Shankar resplendissante dans une tunique bleu éclatante. Il y a un pianiste, Leo Dombecki, tournant quasiment le dos à la salle. A sa gauche, assis sur le tapis, Tanmoy Bose, le joueur de tablas. Vient ensuite Anoushka, qui accorde son sitar, puis Ravichandra Kulur, le flûtiste.

Une fois son instrument accordé, Anoushka prend le micro pour expliquer qu’il vont commencer par jouer l’une de ses compositions, qui prend la forme d’un raga – structure mélodique indienne – qui commence en 6 temps et qui passe en 16 temps. Il s’agit du morceau « Voice of The Moon ».

Le sitar, instrument souvent associé aux voyages psychédéliques des années 60, est indéniablement un instrument évocateur : les sonorités riches, les sons fuyants, les accords inhabituels nous font en effet voyager, au delà du voyage exotique « musique d’ailleurs ».
La charmante Anoushka emmène son groupe comme une vraie professionnelle, et son aisance et sa virtuosité ont tendance à nous faire oublier qu’elle n’est âgée que de 24 ans.
Le rythme s’accélère lorsqu’ils passent en 16 temps, et c’est d’autant plus impressionnant. Anoushka parcours des kilomètres sur le manche de son sitar, pendant que Tanmoy martèle ses tablas vigoureusement. A la fin de ce premier morceau d’une dizaine de minutes, on n’a pas vu le temps passer, il s’est arrêté.

Rejoints par Jesse Charnow à la batterie et Clarence Gonsalves à la basse, le groupe prend une tournure plus moderne et joue « Prayer In Passing », issu également de Rise. Les lignes de synthé programmées et surtout le couple basse/batterie apportent une autre énergie à la musique indienne, le métissage est réussi.

Anoushka Shankar, après avoir réaccordé son sitar, reprend le micro pour nous expliquer qu’ils vont jouer un morceau qu’elle a co-écrit avec des amis à New Dehli, Gaurav Raina et Tapan Raj. Il s’agit de Rebirth, peut être le morceau le plus « moderne » : Ravichandra et Tanmoy sont partis en coulisses, il ne reste que le quator synthétiseur/batterie/basse et bien sur, sitar. Un air très joyeux, entraînant – insuffisant pour réveiller le public du samedi soir cependant, trop occupé à parler entre voisins.
Les musiciens reviennent, accompagné par Aditya Prakash, qui assure le chant sur « Beloved ». Sur Rise il s’agissait d’une voix féminine, mais la sienne passe très bien également.

Après un nouvel accordage – pendant laquelle on entend le public faire un concours de toussotements, à croire que la bronchite se répand au son du sitar – Anoushka annonce qu’ils vont jouer un morceau appelé Red Sun, qui présente des « percussions vocales intéressantes » selon ses propres termes.

En effet, il s’agit d’un morceau ou Ravichandra et Tanmoy font un duel de percussions vocales, spécialité indienne composée uniquement d’onomatopées prononcées à une vitesse impressionnante. Superbe morceau en live, même si on peut regretter de ne pas entendre mieux ces percussions justement, la batterie étant très présente.

Le groupe au complet part en coulisses le temps d’un entracte (nous sommes à l’opéra, ne l’oublions pas) et Anoushka Shankar revient sur scène uniquement accompagné par Leo au piano. Elle explique qu’en Europe, il jouent rarement un raga au complet, et se contentent d’une partie d’un raga. Elle va donc jouer une introduction de raga, un Alap, qui consiste en un morceau lent servant à installer l’atmosphère.
Dans ce cas présent, il s’agit de Naked, issu de Rise. Un très beau moment de sérénité sur fond de virtuosité.

Nouvel accordage, quintes de toux du public, et Anoushka, toujours en duo avec Leo, explique qu’elle va jouer un morceau écrit avec un ami espagnol, Pedro Ricardo Mino, joueur de guitare flamenco, et c’est donc un morceau de musique classique indienne aux influences espagnoles. Un des morceaux les plus surprenants en live, même si je le connaissais déjà puisqu’il figure aussi sur Rise : la façon de jouer du piano est assez déconcertante : Leo joue des accords indiens sur un instrument dont on à l’habitude qu’il produise des accords « occidentaux ». Les notes que joue Anoushka au sitar sont reprises par Leo au piano, chacun y allant de son solo, c’est vraiment superbe, même si au départ c’est un peu étrange.

Le groupe revient au complet pour jouer Sinister Grains, et à nouveau le chant d’Aditya se fait entendre, encore meilleur que lors de Beloved, et atteint des sommets lors de Mahadeva, le morceau suivant. Anoushka explique qu’il a été composé par son père lorsqu’elle était petite, et qu’elle a voulu en faire son interprétation.

Après une introduction ou Aditya montre qu’en maîtrisant son souffle, il peut atteindre des notes si basses qu’elle tiennent presque du vrombissement, son chant nous met dans l’ambiance de ce morceau sombre, aux sonorités martiales. Jesse et Tanmoy emmènent le groupe d’un rythme marqué, pendant qu’Aditya scande son chant d’une voix grave.
Après ce morceau de bravoure, le groupe se lève, salue humblement, et part en coulisses, mais Tanmoy, Ravichandra, Jesse et Anoushka reviennent quelques secondes après pour un rappel.

Cette dernière nous explique qu’ils vont jouer un raga acoustique, le raga Jog, ce qui leur permettra de faire un solo chacun leur tour.
Et en effet, après avoir planté le décor musical, Jesse y va de son solo de batterie, dans la plus pure tradition jazz. L’observer et l’entendre jouer est déjà très impressionnant – il frappe vite et très bien – mais voir les trois autres musiciens sur scène tournés vers lui pour l’aider en battant la mesure en 8 temps est quelque chose de vraiment fort, on voit la complicité entre ces musiciens, tous égaux au service de la musique qu’ils interprètent.

Après 5 minutes de solo intense, les quatre musiciens reprennent le thème, avant de laisser la place à Ravichandra qui y va se son solo de flûte, soutenu par la batterie de Jesse et par les battements de mesure d’Anoushka et Tanmoy. Là encore le virtuose nous montre qu’il maîtrise son art, avant de reprendre tous ensemble le thème du raga.

C’est au tour de Tanmoy de faire son solo, dirigé par Jesse, Ravichandra et Anoushka. Les sons particuliers des tablas résonnent dans l’Opéra, doux, profonds, rapides selon la partie de la main qui frappe les peaux.
Le groupe reprend une dernière fois le thème, avant de laisser Anouska faire son solo, en étant toutefois accompagnée par ses acolytes. A la différence des autres soli, le sien n’est pas frénétique, mais plutôt calme, ses doigts parcourent les cordes du sitar pendant que sa main gauche se déplace rapidement mais précisément sur les nombreuses frettes qui garnissent le manche de son sitar. Après une vingtaine de minutes, le morceau s’achève sous les applaudissements du public qui ne daigne pas se lever pour autant. Le groupe salue, et repart encore en coulisses.Anoushka et Tanmoy reviennent encore pour un second rappel. Elle explique qu’ils vont interpréter une composition de son père qui date de 1947 ou 1948, mais dont je n’ai malheureusement pas saisi le titre. Et cette fois, aidée par Tanmoy, elle pousse son sitar dans ses derniers retranchements, alignant les notes à une vitesse prodigieuse, nous emmenant une dernière fois dans un voyage épique au pays des sons.

Elle nous quitte sous les applaudissements, et les lumières se rallument déjà, après près de deux heures de concert (un heure trente sans pause était prévue d’après le programme). Je n’ai pas vu le temps passer, les notes se bousculent dans ma tête. La maîtrise du jeu mais aussi de la composition de cette jeune prodige de 24 ans risque de nous réserver de belles surprises à l’avenir, espérons que la France saura l’apprécier et que nous pourrons la revoir en concert dans le coin, car peu d’artistes savent aussi bien allier les traditions ancestrales et les instruments d’aujourd’hui sans pour autant virer dans le « remix ».

Un grand merci aux organisateurs de Lille3000 pour avoir invitée celle qu’il fallait inviter, et merci à Anoushka Shankar pour les nouveaux horizons et pour sa musique, tout simplement.

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