Nous sommes en 2005, Mark Knopfler vient de sortir ce qui reste à ce jour comme mon album préféré de sa carrière en solo. Après un accident de moto qui l’a privé de tournée suite à The Ragpicker’s Dreams, il a posé ses amplis au Zénith de Lille.
Contrairement à mes habitudes, j’écris ce compte rendu pas du tout à chaud, mais 18 ans après. Les souvenirs sont émoussés et je n’ai plus la même sensibilité musicale qu’alors, mais la maestria de Knopfler, à quelques mètres de moi, m’avait fait forte impression. J’ai pu me replonger dans ce concert grâce à une video bootleg, dont j’avais d’ailleurs fait la jaquette du DVD à l’époque.
Je n’avais pas une grande expérience des concerts alors, et j’avais commencé par Peter Gabriel à Bercy en 2003, donc j’avais mis la barre plutôt haut, niveau mise en scène. Avec Knopfler, la mise en scène est sommaire, et il n’a pas beaucoup bougé pas beaucoup de son pied de micro. Mais je me souviens d’un public particulièrement chaud, un peu trop même lorsque les portes se sont ouvertes, avec beaucoup de retard. Je faisais la queue depuis longtemps et j’ai couru pour avoir une bonne place dans la fosse. Devant moi, une femme a fini au sol suite à un coup de coude bien placé d’un mâle qui n’avait sans doute pas une aussi bonne détente qu’elle. Aujourd’hui encore, quand on me demande si c’est pas dangereux les concerts des fois, c’est plus ce moment qui me revient en mémoire que les pogo pendant Motörhead ou les soirées métal au Splendid…
Malgré cet incident je suis bien placé, deuxième rang, un peu à droite du micro de Mark. Je ne me souviens pas du tout de la première partie, mais je garde en mémoire l’émotion lorsque Knopfler est monté sur scène. Avec l’âge, ou l’expérience, j’ai perdu cet émerveillement un peu naif de l’admirateur devant la star. Dommage.
Ils ont commencé par Why Aye Man, Mark est à la plus belle de ses guitares, la Gibson Les Paul Standard 1958. Longtemps associé à la stratocaster, une fois lancé en solo, il s’est intéressé à la Gibson, et, ça a tout changé. Le son plus gras, plus organique, plus brouillon de la Gibson, entre les mains de Knopfler, c’est magique. Aujourd’hui, en 2023, dans quelques semaines, il va la vendre aux enchères, comme le reste de ses guitares, la fin d’une époque.
Le public s’est réveillé sur le second titre, époque Dire Straits, avec “Walk Of Life” et sa mélodie entêtante aux claviers, joués par le fidèle des fidèles, Guy Fletcher. Le second pianiste, dont je ne me souviens plus du nom, est passé à l’accordéon, et Mark était à la Telecaster. Glenn Worf, le bassiste patibulaire, était à la contrebasse. Il y a eu un nouveau changement de guitare, cette fois pour l’autre Fender, la fameuse Stratocaster rouge sur “What Is Is”, le titre à la mélodie irlandisante qui m’a fait découvrir Mark Knopfler. On reste sur le même album, avec la plus belle chanson, qui est aussi le titre de l’album “Sailing To Philadelphia”. On se calme un peu sur les riffs de guitare accrocheurs, c’est une autre facette de Knopfler qui est alors mise à l’honneur, avec un texte magnifique.
You talk of liberty
How can America be free
Ou comment un texte qui parle de la colonisation de l’Amérique en 1760 résonne différemment dans un monde post 11 septembre. C’est un morceau beaucoup plus lent, où la partie de guitare n’est tout de même pas oubliée, avec une mélodie qui cascade, fluide, et évoque à la perfection les grands espaces. Certains ont du s’endormir, si on venait pour du Dire Straits. Si on venait pour du Knopfler, on était servis.
Et de toutes manières, Dire Straits était bien de nouveau mis à l’honneur avec “Romeo and Juliet”, qui restait très calme. Mark a sorti un autre trésor, sa National style O de 1937, qui brillait de mille feux sous les spots. J’accroche moins aujourd’hui à la beauté de ce morceau, mais à l’époque, je devais baver.
Maintenant que tout le monde faisait dodo, il était temps de réveiller tout ça, et pour ce faire, il a eu une formule assez simple et qui ne manque pas de sryle. Il a repris la strat, un peu plus de lumières sur scène, quelques notes, et le Zénith battait – mal – la mesure sur “Sultants Of Swing”. Il a toujours improvisé sur le solo de fin – oui c’était la version longue – et, à Lille il s’en était joliment tiré, sans pain. Knopfler n’avait plus la dextérité de ses 29 ans – qui perce dans la musique à 29 ans ? – mais à 57 ans, il restait tout de même des millions de kilomètres devant en matière de toucher et de sensibilité. Il a même lâché un petit sourire ou deux sur le solo devant l’enthousiasme du Zénith. Un exploit pour l’anti-rock star.
Il a pris le temps de présenter son groupe, en anglais, avec des petites privates jokes. Guy Fletcher aux claviers donc, Glenn Worf à la basse, Richard Benett, inséparable lui aussi, à la seconde guitare. J’ai retrouvé le nom du pianiste accordéoniste, il s’agit de Matt Rowlins, en remplacement de Jim Cox, ne pouvant prendre l’avion à l’époque. Et à la batterie, on retrouvait l’ancien percussionniste de Dire Straits en la personne de Danny Cummings.
Retour sur la discographie solo de Knopfler avec cette fois son premier album et le très country “Done With Bonaparte”. Tout le monde n’a pas accroché et il y a même eu des sifflets. Tout le groupe s’était avancé en front de scène avec des instruments acoustiques. Encore une fois, derrière le spectacle, Knopfler s’illustrait par sa plume.
A l’époque des débuts du Web 2.0, les forums régnaient encore en maitre sur le web, les sites persos existaient encore, et j’ignore si c’est comme ça que la tradition des “Oe oe oe” s’est mise en place, mais sur chaque concert de cette tournée, à ce moment, le public lance des chants de stade de foot, amenant Knopfler à en jouer au fil des dates. Ce soir là, il s’était assis avec la Gibson, et nous avons été gâtés à Lille : il a improvisé à la guitare, à passé le relai à Matt, en mode piano blues, avant d’assurer la conclusion, Knopfler s’amuse. Beau moment.
Mais revenons aux choses sérieuses avec “Rüdiger” issu lui aussi de Golden Heart, et très calme. Très très calme. Mais la Gibson en velours accompagné par le piano délicat, sur encore une fois un très beau texte, c’était beau tout simplement.
Changement radical d’ambiance pour le plus dur “Song For Sonny Liston” et son blues crasseux. Knopfler a commencé seul, et la batterie syncopée s’est ajoutée pour rattraper les clappements de mains hors tempo. Encore une fois, la plume de Knopfler excelle pour raconter des personnages complexes avec subtilité. J’adore toujours autant ce titre, tout comme le suivant, meilleur single de Knopfler depuis Dire Straits avec “Boom Like That”, qui racontait la creation de McDonald, et surtout de Ray Kroc, qui a fait passer le restau de bord de route par cher pour les plus démunis à l’empire que l’on connaît. Un riff qui fonctionnait bien, et voila, Boom, Like That.
Retour en 2001 avec “Speedway At Nazareth”, et son final qui est resté comme le gros son de la soirée. La Gibson était mise à l’honneur, Richard ajoutait la sienne ce qui n’était pas pour me déplaire. Et Speedway était de ces morceaux ou on sent la tension monter, aidé en cela par la batterie de Danny Cummings. Et quel solo. Un des plus puissants de la carrière solo de Knopfler.
Tiens, si on revenait sur Dire Straits ? On ne va pas rechigner, surtout quand Guy lance les nappes de synthé du chef d’oeuvre absolu “Telegraph Road”. Encore une histoire magnifiquement contée au passage. Le morceau fut accueilli avec enthousiasme par le public. C’était parti pour près de 15 minutes, avec les plus beaux soli époque Dire Straits. C’était sans doute l’un des grands moments du concert pour beaucoup de monde dans la salle, moi y compris.
And my radio says tonight it’s gonna freeze
People driving home from the factories There’s six lanes of traffic Three lanes moving slow
Et… le groupe s’est eclipsé en coulisses. Je n’avais pas vu le temps passer, tout come aujourd’hui en revivant ce concert. Mais ils sont vite revenus, et j’ai croisé les doigts pour avoir “ma” chanson… et j’ai eu de la chance parce que le public lillois a été récompensé : ils ont joué tous les rappels proposés aléatoirement sur la tournée, à commencer par le magnifique “Brothers In Arms”, toujours aussi émouvant. Un titre qui nous a replongé dans les années 80, où tous les artistes se sentaient pousser une conscience politique et y aller de leur chanson anti-guerre. Avec Knopfler, c’est resté subtil, avec un solo de guitare des plus mémorables. Oui, à la Gibson maintenant. Impeccable.
On est restés dans les tubes avec les classiques des classiques “Money For Nothing”, toujours plaisant à voir sur scène : la décontraction qu’affichait Knopfler était tellement en décalage avec l’avalanche de notes qu’il balancait sur l’intro mythique. “So Far Away” m’a toujours emmerdé par contre, je suppose qu’à l’époque aussi.
Mais ce n’était toujours pas fini. Matt Rowlins était à l’honneur sur “The Mist Covered Mountains” de Local Hero, pas du Hobbit, introduction idéale pour le “Wild Theme” qui m’a fait me mettre à la guitare, sans grand succès cela dit, quand j’ai découvert ce titre en 2001 ou 2002, avec une tablature simplifiée. Je pense que les larmes ont coulé, à quelques mètres de Mark et sa strato rouge.
Merci à Elian, qui avait fait ce projet Shangri-Lille, un double DVD qu’on s’envoyait entre fan, et qui maintenant vis sa vie récupéré à droite à gauche sur youtube…
Pas de photos, à l’époque j’en étais encore à faire rentrer un compact dans un paquet de biscuits. Et j’ai pas grand chose de potable, l’IA m’a aidé pour récupérer une photo pour la vignette, c’est déjà bien.