3 ans. C’est le temps qu’il aura fallu attendre pour avoir la chance de revoir Narrow Terence, le groupe de rock français le plus intéressant de sa génération, et je pèse mes mots. Ils venaient présenter leur dernier album, un peu particulier, dans un cadre lui aussi très original: un cinéma indépendant.
Je les avais découverts en première partie de Revolver, comme quoi le hasard fait bien les choses… Depuis, “Narco Corridos” passe régulièrement sur mon ipod. Contrairement à pas mal de groupe classés “rock-indé-inrocks”, Narrow Terence tient la longueur. On ne se lasse pas de ces ambiances uniques, ce son, ce grain de folie, cette façon de mélanger les genres. A la fameuse question des 10 CD à emporter sur une île déserte, “Narco Corridos” serait du voyage.
Narrow Terence, c’est au départ deux frères, Antoine et Nicolas Puaux, multi-instrumentistes nourris au rock, à Tom Waits – j’ai découvert grâce à eux, merci beaucoup – Nick Cave, Edgar Allan Poe ou The Shield. La particularité du groupe, c’est d’abord la voix d’Antoine Puaux, rauque et grave, mais aussi le violon de Christelle Lassort, qui apporte une couleur unique. Ils ont sorti deux albums “Low Voice conversation” et donc “Narco Corridos”, et voilà qu’un troisième album vient de sortir “Violence With Benefits”.
Ce dernier est un peu particulier : c’est acoustique, c’est enregistré dans une chapelle du Vaucluse, et c’est le fruit d’une peine de Travaux d’Intérêt Général.
Les frères Puaux ont écopé d’une peine de 150h de travail d’intérêt général suite à une baston dans les loges après un concert, impliquant un fan un peu trop agité, un extincteur et une tache de sang. C’est curieux, on se croirait dans une chanson de Narrow Terence. Ces derniers ont donc enseigné dans l’école de musique de la très belle ville d’Apt, dans le Vaucluse, et en ont profité pour faire un album dont on comprend mieux le titre maintenant.
Le concert a lieu au cinéma L’Univers, à Lille, un petit cinéma indépendant. Pourquoi un cinéma ? Parce que nous avons eu droit en préliminaire au concert à la diffusion du documentaire accompagnant leur dernier album, qui nous en apprend un peu plus sur cette sombre affaire et la genèse de cet album. Un documentaire très bien réalisé d’ailleurs, avec des plans sympas, et on se marre pas mal – l’ingé son est incroyable – et, pas de langue de bois.
Par contre, on a aussi l’éclairage d’une salle de cinéma… tamisé, discret… donc pour les photos c’est pas génial…j’ai fait ce que j’ai pu, mais bon… d’où le noir et blanc. Ca permet de rendre des photos moches moins moches…
Après le documentaire, les Narrow Terence entrent en scène. Christelle Lassort est absente, retenue à l’autre bout de la France sur la tournée de Camille, et a été remplacée par Adrien Rodrigue. A côté de lui, au trombone et aux bongos, c’est Patrik Lerchmüller. A la batterie, on retrouve Alex Viudes, et aux guitares et au chant, on retrouve donc Antoine et Nicolas Puaux. Les assignations d’instruments sont très arbitraires chez Narrow Terence. Je crois que tout le monde sauf Patrick a eu la basse entre les mains.
Le répertoire de Narrow Terence a donc été revisité en acoustique. Mais le travail accompli est quand même assez incroyable: certains morceaux sont complètement transformés, comme par exemple “Bottom Bitch”, un rock frénétique, trash sur “Narco Corridos”, qui devient un blues mystérieux, hanté par une note de clavier sur la scène de l’Univers ce soir.
On se surprend à sourire en reconnaissant les morceaux – ou pas.
“Clay Musty Smell”, issu de leur premier album, “Dinner”, de leur second, comment plonger la tête la première dans le monde de Narrow Terence. Le trombone, même si ça pouvait semblait curieux sur le papier, s’intègre très bien, amenant une ambiance “film noir” sur certains titres, en mode “trombone bouché”. C’est génial.
Antoine, comme dans mon souvenir, est à fond. Complètement, et quoiqu’il fasse. Ca se voit sur les photos de toutes façons. Son chant si particulier contraste à merveille avec celui de son frère, qui assure les chœurs, et d’autant plus lorsque les rôles s’inversent sur “Enki” un nouveau titre, très calme, l’occasion pour Antoine de laisser la place à son frère au chant, le contraste est saisissant. Un très beau moment.
“Ghost Meeting”, une autre nouvelle composition issue des sessions dans la chapelle d’Apt, des arpèges à la guitare et en pizzicato au violon, un texte émouvant, sombre, un final au violon, c’est vraiment très beau. De la musique de tafioles comme dirait l’ingé son.
On a aussi droit à une revisite de “Mad Jerry Parade” de leur premier album. Antoine se met à la batterie pour l’occasion, ça cogne plus fort. Alex prend la basse laissée vacante. C’est acoustique, mais ça n’empêche pas que c’est énergique. Excellent.
“The Weakness of the Sheep” est de la partie aussi, dans une version qui a bien évolué depuis Narco Corridos: le trombone reprend les parties improvisées de la version “supergroupe” avec Moriarty, qu’on peut voir sur le net.
Sur leur premier album, ils avaient une composition “Hint”, un texte d’Edgar Alan Poe lu sur de la musique. Eh bien la voilà revisitée, il n’y a plus de texte, mais davantage de musique, qui nous aurait sans doute fait penser à des ambiances à la Poe ou Lovecraft même si ce n’était pas explicite vu le titre de la chanson.
Quand on parle d’album revisité en acoustique, ce n’est pas juste ça avec Narrow Terence. D’ailleurs c’est précisé dans les crédits de “Violence With Benefits” : l’album a été produit, écrit et manipulé par Narrow Terence. C’est bien ça: manipulé, tordu, testé dans tout les sens. Le meilleur exemple et la plus belle réussite est sans doute “Wet Dead Horses”, qui passe d’un morceau de trash-metal sur “Narco Corridos” à un blues syncopé, Patrick se met aux bongos, Antoine joue une ligne de basse avec les cordes de sa guitare à vide, Nicolas est à la guitare classique, et Alex fait des merveilles à la batterie, un rythme tribal, qui reste dans la tête, dans les mains. Une petite dizaine de minutes de bonheur.
I’m proud of the woman that you are
I’m proud of the winning of the war
And now we’re flying to Rio
Leaving all that battlefield behind…
Et ce n’est pas tout. Il y a un des titres de Narrow Terence que j’affectionne tout particulièrement – un des titres de tafioles – c’est “The Man Who Thinks”. Quand je l’avais entendue jouer en live la première fois, j’ai pas pu prendre de photo du morceau, tant j’étais captivé. Depuis, avec les évènements de la vie et la maladie de ma femme, les paroles de cette chanson ont pris une signification particulière. Je ne pensais pas y avoir droit en live ce soir. Et pourtant. Antoine est debout, sans instrument, concentré sur son chant, accompagné par la guitare de Nicolas, puis le violon s’en mêle, ainsi que les percussions. Jusqu’au final, tout en puissance.
Ils ne s’absentent pas longtemps avant de revenir pour un “instrumental psychédélique” qui clôt en beauté cette soirée. A la sortie de la salle, on se croirait à un mariage : les musiciens sont là, côte à côte, et on passe devant eux pour les féliciter. Un groupe des plus sympathiques, très disponibles, en plus d’être talentueux.
Narrow Terence a confirmé l’opinion que j’avais d’eux. J’adorais leur musique “électrique”, et, même si c’était pas forcément gagné d’avance, je suis tombé sous le charme de la version acoustique. Un groupe à écouter, encore et encore, sur CD, parce qu’on peut pas les avoir sous le coude tout le temps, mais surtout en live, c’est indispensable. C’est un groupe de scène, au charisme naturel, pas fait exprès, c’est comme ça. Un talent d’écriture, le plaisir de jouer, une identité sonore bien à eux, autant d’arguments pour faire le déplacement.
Pour contrebalancer le côté “acoustique”, Antoine et Nicolas ont formé un autre groupe, en duo, “Narco Terror”, beaucoup plus… énervés.
Ils seront en concert à Lille le 15 mars, donc vous risquez d’en entendre parler sur UbikwiT…
Merci beaucoup à Nicolas pour l’accréditation photo ;)
Superbe chronique ! bravo.
f.