Roger Waters revint au Stade Pierre Mauroy pour ce qu’il présente comme sa première tournée d’adieu, This Is Not a Drill.
Après l’avoir vu en 2007, en 2011 et en 2018, voici peut-être pour moi la dernière occasion de le voir sur scène, à 79 ans il aurait droit à une retraite méritée. Mais cette fois, j’y suis allé sans grande motivation. Disons qu’avec le poids des années, son ego ne s’arrange pas du tout, et commence à peser trop lourd dans la balance.
Commençons par le positif : le Stade Pierre Mauroy est plein, la fosse déborde. C’est cette fois une mise en scène inédite avec une scène centrale (20 ans moins 2 jours après Peter Gabriel à Bercy) en forme de croix, avec un écran de la même forme situé au dessus, ce qui permet des effets très sympas. Le groupe qui assure le show est au top, sensiblement le même qu’en 2018 mais avec deux nouvelles choristes et ça, c’est une excellente nouvelle. Dave Kilminster officie toujours à la guitare électrique et il est en grande forme. “Sheep” est enfin sur la setlist, et c’était énorme, par contre il y avait un mouton volant, j’ai pas trop compris… autant l’expression “if pigs could fly”, Pink Floyd a assez fait le tour depuis 1977, autant ça marche moins bien avec un mouton. Mais c’est anecdotique. Le dyptique In The Flesh / Run Like Hell rappelle la tournée The Wall, et se termine sur la fameuse vidéo leakée par Chelsea Manning et Julian Assange montrant un drone américain ouvrir le feu sur des civils, posant intelligemment la question de la pertinence de l’emprisonnement d’Assange et la liberté de ceux qui ont tué des innocents. The Bravery Of Being Out Of Range, a subi une cure de jouvence providentielle, les harmonies des chœurs sont magnifiques. Le récit du bad trip de Roger, écrit sur les murs pendant le superbe Shine on You Crazy Diamond (part VI-VII) était l’un des points forts du concert. Et enfin, et surtout, le son, comme toujours avec Waters, est exceptionnel, avec une spatialisation qui a fait trembler le stade.
Ah oui, aussi : la musique de Pink Floyd est précieuse, et l’entendre et la voir dans ces conditions, c’est toujours un plaisir, foi de quelqu’un qui a le bras tatoué aux couleur de “Animals”.
Voilà voilà pour les points positifs, il reste le cas “Comfortably Numb” que je garde pour la fin.
Là où je suis plus mitigé, tout d’abord c’est l’utilisation de ces écrans qui, comparativement à la tournée Us and Them, presque aussi bluffante que The Wall, était un peu sous-exploitée, surtout pendant la deuxième partie du show. Il nous a habitué à des effets à couper le souffle, là c’était plus timide, avec tout de même de grands moments, comme Eclipse, Shine On You ou le segment The Wall.
Je n’évoquerai pas la performance vocale de Roger, parce que oui, c’est moins bien qu’en 2018, qui était moins bien qu’en 2007 etc… il a 79 ans, il est sur scène pendant plus de deux heures, et il chante sans trop d’aides, j’ai même envie de dire qu’il assume davantage sa voix, on ne peut lui retirer ce crédit, et on va le voir en concert en connaissance de cause.
J’en viens à ce qui m’a dérangé dans ce concert : avant le début du show, on entend la voix de Waters nous adresser un petit message, projeté sur les écrans.
“If you’re one of those “I love Pink Floyd, but I can’t stand Roger politics” people, you might do well to fuck off to the bar right now.”
“Si vous faites partie de ces gens qui disent “J’adore Pink Floyd, mais je ne supporte pas Roger qui fait de la politique”, vous pouvez très bien aller vous faire foutre au bar tout de suite.”
Voilà, c’est posé, direct. No dark sarcasm in the classroom, non ? Ou alors il vire punk à 79 ans, mais de la part d’un ex Pink Floyd, c’est osé.
Je trouve cela assez choquant pour un artiste qui vend des places de concert d’insulter ceux qui ne sont pas d’accord avec lui politiquement. Il se trouve que je suis dans l’ensemble plutôt d’accord avec certaines de ses prises de positions, du moins sur le fond, sur la forme parfois moins. La volonté de la ville de Francfort de l’interdire de se produire ce mois-ci était aberrante et il a eu gain de cause. Certes. Mais c’est ce principe de “j’ai forcément raison, je suis Roger Waters” que je trouve très limite au niveau liberté d’expression, d’autant qu’il n’est pas particulièrement pédagogue sur des sujets qui mériteraient qu’on s’y penche un peu avant d’avoir un avis. Par exemple le conflit israelo-palestinien. Julian Assange et les wikilieaks, même si le passage à la fin de Run Like Hell, on l’a vu, était plutôt bien fait. A noter qu’il ne s’étends pas beaucoup sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine, conflit où il a a plusieurs reprises pris position en faveur de l’état envahisseur, qui assassine allègrement des journalistes, aux lois homophobes… We want Human Rights, but not partout quoi. Et ne parlons pas de Taïwan. Donc monsieur à ses combats, et quand c’est facile d’être démago, soyez d’accord avec lui, c’est plus simple, ça donne bonne conscience et il sera content.
Donc déjà, ça me gène, mais, quelque part c’est de la politique, même si pour lui c’est la même chose, moi je venais pour la musique. Et là où Roger à définitivement vrillé, c’est vis à vis de Pink Floyd justement. Outre ses déclarations récentes de vouloir re-enregistrer Dark Side Of The Moon, parce que, les paroles c’est de lui, le reste on s’en fout, qui ont fait grincer des dents même ses plus ardents défenseurs, il est dans une démarche de cancel Pink Floyd, en fin de compte. Les projections sur l’écran pendant “Have A Cigar” sont édifiantes : des cadrages de Roger époque Pink Floyd, on peut voir les autres, surtout saint Syd et Rick – que Waters a pourtant viré sur The Wall et a été payé en tant que musicien de session, presque pas humilié – mais jamais, au grand jamais, David Gilmour. Les deux hommes ont repris les hostilités après une relative entente cordiale, s’écharpant autour des crédits du coffret Animals, puis la femme de Gilmour, pleine d’élégance, qui traite Roger d’anti-sémite misogyne sur twitter, avec David, pas plus malin, qui en rajoute une couche, c’est pathétique de toute parts, et c’est vraiment dommage. L’image au Live Aid en 2005 était trop belle, l’épilogue avec Gilmour en guest en haut du mur sur Comfortably Numb à Londres en 2011 était magique, et en 2023, Roger et son ego s’attribuent tout ce qu’il est possible de s’attribuer, même quand ça en devient risible : Wish you Were Here, c’est avant Pink Floyd quand lui et Syd étaient à Cambridge, Sheep c’est lui quand il était l’égal de George Orwell, Aldous Huxley ou Eisenhower…
Cet homme n’a toujours pas compris que ce qui a fait le succès et l’intemporalité de Pink Floyd, ce n’était pas lui, mais l’alliance de quatre musiciens pendant une brève période. Pink Floyd ne serait pas Pink Floyd sans la guitare de Gilmour, les accords jazz et blues sortis de nulle part de Rick Wright, sans la noirceur des textes de Waters.
Ses dernières production en solo en sont la preuve : qui a ré-écouté Is This The Life We Really Want depuis 2017 ? Qui a réussi a écouter un album solo de Gilmour sans s’endormir (ou sursauter au jingle de la SNCF, idée du siècle). D’accord c’est réducteur, Amused To Death était un excellent album, merci Jeff Beck .
Sur cette tournée, il y a d’ailleurs une nouvelle chanson de Waters, au piano : “The Bar”, là ou ceux qui ne sont pas d’accord sont allés se faire foutre, mais pas de chance on s’y ennuie un peu. Tout repose sur le texte, c’est ce qu’il sait faire. Le reste ne marque pas les esprits. Il aime mettre une nouveauté par tournée, comme en 2007 avec “Leaving Beirut”, mais j’avais été plus sensible à cette dernière.
Mais revenons sur le début du concert, avec Comfortably Numb, ré-interprétation en mode “confinement” par Waters, qui supporte tellement pas Gilmour qu’il a viré les soli de guitare sur LE titre qui se dispute la place de plus beau solo de tout les temps avec Stairway to Heaven dans les tops 10 des boomers.
Et pourtant, malgré le symbole, malgré ce que j’ai écrit au dessus, ça me coûte de l’écrire, mais c’est une réussite. Quelle ambiance. Je pense qu’on reverra cette version dans nombre de séries ou de films post-apocalyptiques. Dans une ambiance “vrai monde de Matrix”, un lent travelling dans une ville pilonnée par des orages qui grondaient depuis une vingtaine de minutes avant le début du concert. Dans les rues ne subsistent que des ombres, la guitare électrique d’Echoes s’est perdue et appelle à l’aide, une choriste soul vocalise sa peine. C’est sombre, ce n’est que désespoir, mais c’est du grand art.
Du coup, peut-on ré-ecrire Pink Floyd ?
Un concert en demi-teinte pour moi. Peut-être parce que les autres fois c’était mieux. Peut-être parce qu’à côté de moi, un fils avait réussi à traîner son père au concert, et que le mien n’a pas voulu. Peut-être parce que j’avais froid.
Mais la musique de Pink Floyd, n’en déplaise à Waters, ce n’est pas que grâce à lui, et cette forme d’injustice artistique qu’il véhicule me gène. Ses opinions politiques ont toujours été prégnantes, aujourd’hui, il faut être d’accord sans poser de questions. Et c’est un jeu dangereux que de prêter à un artiste une confiance aveugle parce qu’on a entendu Another Brick à la radio et qu’on l’a vu en concert.
Fait amusant : dans deux semaines, au même endroit, une autre façon de faire avec Peter Gabriel, qui n’est pas le dernier pour mêler musique et politique.
Mais comme toujours, on aime cette musique de Pink Floyd. Si vous ne l’avez pas fait, donnez une chance aux tribute bands comme Australian Pink Floyd, Brit Floyd etc : ça marche tout aussi bien, c’est un peu moins cher, et ils rendent un hommage bien plus respectueux à Pink Floyd.