Autant le dire tout de suite : c’est LE concert de l’année pour moi. Pas évident d’être catégorique, mais le voyage jusque dans cette petite salle de Belsele valait vraiment le coup, la musique des Danois de Valravn est de ces musiques qui vous font voyager bien au delà de votre corps. Un concert avec plein d’adjectifs. J’espère pas toujours les mêmes, pardonnez les redondances s’il y en a…
Valravn est un groupe qu’on pourrait situer en disant que c’est de l’électro-folk, mais ça serait réducteur. Ca s’écoute, ça ne se raconte pas. Ils ont deux albums à leur actif, “Valravn” en 2007 et “Koder På Snor” en 2009.
Le groupe et composé de Christopher Juul, originaire de Copenhague, il se charge du son “Valravn” et s’occupe du côté électro du groupe avec un Macbook, des pédales d’effets diverses et autres loop.
Devant lui, à la vielle à roue, mandoline et nyckelharpa, c’est Søren Hammerlund, le danois d’origine hollandaise, spécialiste des musiques anciennes du Danemark. De l’autre côté de la scène, derrière un attirail inhabituel pour un percusionniste, c’est Juan Pino, le colossal suisso-équatorien . Il joue du Davul – sorte d’énorme tambour avec des peaux de chaque côté – des cymbales mais aussi des percussions électroniques. Accessoirement, il joue aussi du “hammered dulcimer”. Ah et il est aussi le manager du groupe. C’est tout je crois…
Au violon et aux flûtes diverses, c’est le très sympathique “vétéran” Martin Seeberg, véritable ambassadeur de la musique folk danoise, il a un passé artistique dont il n’a pas à rougir, et est encore nominé cette année aux Danish Music Awards dans la catégorie “Best Folk Musician”. Rien que ça.
Et enfin, au centre de la scène, la charismatique, lumineuse, souriante, espiègle et incroyablement douée Anna Katrin Egilstrød, originaire des îles Faroë – pour situer: une petite île équidistante des côtes écossaises, norvégiennes et islandaises, ce qui résume bien le groupe en fait. Dans toutes les présentations de la belle, on voit le nom de Björk pas loin. Même s’il est vrai que sa voix a des similitudes avec celle de l’excentrique islandaise, elle a quand même une voix rare, voire unique (et elle chante quand même moins bizarrement que Björk…)
Le concert à lieu à ‘t Ey, une petite salle de concert dans la banlieue d’Anvers. Un peu plus d’une heure de route de Lille quand même, mais bon, Valravn passe rarement dans le coin, et il faut en profiter.
On arrive sur place, accueil très chaleureux (et en français de la part de ces flamands, s’il vous plait !). La salle en question s’avère être un bar, avec un rideau séparant l’accès à la zone “concert”. Vielles briques, déco constituée d’une foultitude d’instruments divers et variés : j’aime d’ores et déjà cet endroit. En discutant avec un sympathique flamand, il s’avère que c’est une des rares salles de concert en Belgique consacrée à la musique folk. C’est toujours ça de plus qu’en France.
Vers 20h45, le rideau s’ouvre, on a accès à la zone “concert”. Une salle pas très grande, une scène un peu surélevée, peu de lumières. On patiente pendant que, sur la scène, Juan et Martin font quelques réglages.
A 21h20, ça y est, enfin. Les musiciens entrent sur scène, Anna, une sansula aux mains, s’approche du micro, et commence à chanter “Fuglar”… 30 secondes après, je ramasse ma mâchoire et commence à prendre des photos. Sa voix va chercher les aigus d’entrée de jeu, respect. Cheveux courts, tunique froissée, vieux collants troués, sans chaussures: sa simplicité contraste d’autant plus avec sa Voix.
Le son est excellent, la scène, baignée de lumière bleutée et de fumée, est superbe. Que demander de plus ?
Fin du premier morceau, Anna nous présente le suivant, il s’agit de la chanson-titre de leur dernier album “Koder På Snor” qui est nominé aux Danish Music Awards en tant que meilleur album de folk. On croisera les doigts avec eux dimanche. Juan joue du hammered dulcimer, Martin une sorte de croisement entre une cithare et une harpe avec 5 cordes. On est transporté, autant par la musique qui se suffit à elle même tant c’est beau, mais magnifiée et emportée par la présence et la voix d’ Anna Katrin, on frôle le divin.
Ces nordiques, à l’instar de leur voisins Sigur Ros, ont ce don de transmettre leur univers, leurs paysages, leur culture dans leur musique. A l’image d’Anna Katrin qui nous raconte l’histoire de cette jeune femme, attirée par ce très sexy marin sur son navire dans la baie, qui le rejoint, boit du vin et se réveille aux côtés d’un marin beaucoup moins sexy, et maintenant loin au large… Pour la chute, vous irez les voir en concert… Il s’agit donc du titre “Skipper Jomfru”, un titre mélancolique, avec des effets sur la voix d’Anna Katrin. De base, j’aime rarement les effets sur la voix, mais Anna Katrin joue si bien avec que c’est excellent. De temps en temps elle joue avec ses pédales d’effets, posées sur une petite table à côté du micro, elle gère l’écho, les compressions… très électro donc, mais sans détériorer sa voix si envoûtante.
C’est ensuite “Vallevan”. Søren pose l’ambiance à la vielle à roue, tandis que Christopher installe le rythme avec Juan. L’alchimie de se groupe fonctionne à merveille. Martin lui est passé à la flûte, dont il joue avec une aisance déconcertante.
Le morceau suivant “Seersken”, avec une ambiance plus rythmée, la flûte de Martin devient groovy. Ca pourrait être un single. Très bon, Anna Katrin flirte dans les aigus avant de forcer sur sa voix à l’instar de sa comparse islandaise: des voix sur le fil de rasoir, en équilibre, mais qui ont l’audace de faire des acrobaties.
Søren, Anna Katrin et Martin s’accroupissent pour laisser Juan faire un solo de Davul pour le moins impressionnant. Sa carrure de colosse, sa longue chevelure en font une sorte de Viking, désolé pour la facilité du cliché. Sa technique de jeu est fascinante, le davul se joue donc verticalement, les peaux des deux côtés percutées simultanément. Il construit un rythme allant crescendo, dans la tradition des solo de batterie des groupes de rock. Mais armé de son Davul, il n’a rien à envier à l’attirail d’un batteur traditionnel. Yeux fermés, un jeu puissant, il retient en haleine le public, se demandant jusqu’où il va aller.
Le groupe enchaîne un autre titre excellent, très rythmé, la voix d’Anna Katrin se fait percussive sur le refrain de “Kelling”. Christopher torture des sons, fait un rythme, et au final on a droit à un morceau qui ne jurerait pas de la part d’un groupe de rock progressif. Anna Katrin fait même scander “Statt up og dansa” au public.
On reste dans une ambiance rythmée, puissante, avec le single de leur premier album “Krummi”. Juan, du fond de la scène, martèle le rythme lancinant tandis que la voix d’Anna Katrin se fait de plus en plus sombre sur se morceau qui raconte le festin des corbeaux (Valravn en danois) sur un champ de bataille. Sympathique, le folklore danois, n’est-ce pas ? C’est peut être un de mes morceaux favoris, rien que pour le “Krunk krunk” d’Anna Katrin…
C’est au tour de Martin de nous raconter une histoire: comme de là ou il vient, il n’y a pas beaucoup d’Histoire, il fallait bien qu’il s’en invente, et voici donc “Lysabild”, le récit d’une jeune fille seule sur une île, elle grimpe tout en haut d’un arbre et allume un feu, qui est vu par un jeune homme sur la côte… il doit la rejoindre à la nage, mais avant le matin, sinon il ne pourra plus voir le feu… Martin, tout en jouant du violon, chante – magnifiquement- l’introduction de la chanson, avant d’être rejoint par une Anna Katrin souriante, le même sourire qu’elle a tout au long du concert, espiègle, simple, juste heureuse. La bonne humeur est de mise dans tout le groupe d’ailleurs, seul Christopher reste concentré sur ses machines.
Le final du morceau, là encore, est un grand moment de progressif. Le rythme s’accélère, la voix d’Anna Katrin se teinte d’échos, elle force dessus, chante rapidement… pour moi, le climax de ce concert.
Le public apprécie et est chaleureux, on entend quand même quelques “chuts” de désapprobation à propos de ceux qui discutent pendant les moments calmes, mais dans l’ensemble, je pense que l’accueil fait à Valravn fut celui qu’ils méritaient.
Ils enchaînent sur “Olavur”, avec son rythme frénétique, là encore Anna Katrin fait des merveilles – je me répète non ? – pendant que le violon de Martin donne des accents irlandais à ce morceau. Juan lui aussi est à son affaire, tapant sur tout ce qu’il trouve. C’est le genre de morceau qui donne la pèche et envie de sauter partout.
Ils jouent ensuite le très beau “Kraka” avant de jouer le seul instrumental de ce concert, Anna Katrin partant jouer avec les percussions de Juan. C’est “Marsk”.
“Kroppar” vient ensuite, encore un rythme lancinant, un violon entêtant et la vieille à route qui joue une très belle mélodie. C’est un morceau très aérien, limite incantatoire. A un moment, Anna Katrin crie comme jamais, la gorge contractée, mains crispées. Ca file la chair de poule. Superbe ambiance, le temps s’est arrêté.
C’est déjà le dernier morceau, avec un texte qui est historiquement le premier air traditionnel danois, revisité à la sauce Valravn. Très calme.
Les musiciens n’ont pas le temps de sortir de scène. Selon Martin, on a été plutôt persuasifs pour le rappel. Et c’est donc reparti avec un premier morceau, histoire de prolonger le rêve un peu plus, puis les musiciens saluent et s’éclipsent derrière le rideau.
Le public, non.
Et ne se laisse pas faire lorsqu’il voit les lumières se rallumer…pour se re-éteindre rapidement, et Martin, Christopher et Søren reviennent sur scène sous les applaudissements. Martin nous dit qu’il en faut encore un peu pour les deux autres, histoire de, et il ne faut pas nous le dire deux fois, ils reviennent au grand complet, sourires aux lèvres, et un peu émus aussi.
Ils nous jouent “Farin Utan at Verda Deyd”, moment magique.
C’est fini ? Non toujours pas, on ne les laisse pas repartir comme ça… Martin blague “But do we know more songs ?”. Ils en trouvent, ce coup ci c’est la dernière… c’est passé terriblement vite, mais ca fait tellement de bien…
Mais c’en n’est pas fini de cette soirée à ‘Tey. Pour l’anecdote, nous avions vu qu’il y avait une petite affiche merchandising avec “Tshirt” écrit… comme j’ai l’habitude de revenir avec un trophée de concert, on demande… ah non ils n’ont que des CD, ils faut voir avec le groupe… on repart dans la salle, ou les membres du groupes, tout sourires, sont venus discuter avec le public. On croise en route Martin, qui est d’une gentillesse et d’une simplicité incroyables. Il nous explique qu’ils n’en n’ont qu’un de chaque taille, mais il sait pas trop ou… il repart en coulisse les chercher pour nous… et il revient, nous montre les tshirt comme au marché. Très sympa. On a pu discuter avec lui, et malheureusement apprendre que contrairement à ce que j’avais vu sur le net, ils ne seront pas présents au prochain festival Trolls et Légendes pour cause d’emploi du temps, beaucoup de musiciens de Valravn sont aussi musiciens dans d’autres groupes qu’ils ont du délaisser depuis 2008 pour tourner dans le monde entier avec Valravn, en Europe, en Russie, au Japon, donc il y aura un petit break pour eux courant 2011. Par contre il a été très intéressé quand je lui ai parlé des Anthinoises… wait & see !
Une soirée mémorable, avec un groupe unique qui transmet sa passion pour le folklore de leur pays, métissé avec les sons modernes de l’électro. Grâce à une savante maîtrise de l’équation passé + futur = présent, leur musique, qui se permet d’être complexe et abordable dès la première écoute, est unique. Il faut les voir en concert, c’est une expérience inoubliable. Et en plus ils sont d’une simplicité et d’une gentillesse incroyables.
Pas très connu et c’est vraiment dommage. Cette musique mériterait un très grand accueil. Merci pour cet article.