Yann Tiersen fait partie de ces artistes qui évoluent et restent intègres. Et son dernier album « Infinity », enregistré entre Ouessant et l’Islande, est le témoin de cette fructueuse évolution. Un album très minéral, avec une ambiance cohérente du début à la fin, articulé autour d’un texte en plusieurs langues. Le terme de “concept-album” n’est plus à la mode mais on n’en est pas loin: c’est tout simplement une oeuvre d’art. J’attendais de voir ce concert depuis des mois, et l’attente en valait la peine.

Tout roule pour Yann Tiersen, qui est en tournée mondiale, avec des concerts affichant complets au Portugal, au Mexique, en Suède ou en Allemagne. Mais, curieusement, les dates françaises sont les seules à ne pas avoir de petit sigle rouge “complet” sur sa page facebook, donc je m’inquiétais un peu de l’accueil du public français. Les critiques du dernier album ne sont pas franchement enthousiastes sur Amazon, à croire que le public français est resté coincé en 2001… Mais devant le Splendid, la foule est bel est bien au rendez-vous, et peu avant 20h, ils ouvrent même l’accès à la mezzanine, chose qui n’arrive pas si souvent. Le concert est pas loin d’être complet.

Yann Tiersen a en effet de quoi dérouter, surtout dans notre pays où on aime bien ranger les artistes dans des cases: s’ils veulent en sortir, ça étonne. Il a connu le succès du grand public en 2001 suite à l’utilisation de ses morceaux dans la B.O. d’un film qui a très bien marché, et depuis cette étiquette semble vouloir rester collée. Pourtant le breton ne fait rien pour: d’autres B.O. (et composées pour l’occasion, celles-ci) des albums d’inspirations diverses, jusqu’à prendre un tournant post-rock / électro en 2010 avec “Dust Lane”: il y a eu “Skyline” dans la foulée, et cette année, dans un style plus minimaliste tout en étant toujours aussi fouillé instrumentalement:, “Infinity”.

What could possibly go wrong?
What could possibly go right?
We could list all the good things and list all the bad things
but if we’re all just vibration what difference does it make ?

Il y a une première partie, assurée par Black English: un groupe pas mauvais du tout; les musiciens ne ménagent pas leurs efforts pour mettre de l’ambiance. Leur musique est un rock sophistiqué, avec des sons ambiants rappelant un peu la musique de Tiersen. On sent que ce groupe n’a pas été choisi par hasard; la curiosité de Tiersen n’y est pas étrangère. Quelques titres sortent du lot, mais la qualité du son ne permet pas d’en profiter comme il se doit, c’est dommage.

Ils jouent une demi heure, et pendant la demi heure suivante, les roadies de Yann Tiersen changent le plateau. Et il y a du boulot: sur scène, plusieurs claviers répartis en 4 endroits, un xylophone, des guitares, électriques et acoustiques, une batterie, une basse, des jeux musicaux pour enfant… oui, la musique de Tiersen est riche.
A 21h, les lumières s’éteignent et le concert commence sur la voix enregistrée d’Aidan Moffat, qui récite un texte superbe qu’il co-signe avec Yann Tiersen: “Meteorites”. L’accent écossais et la profondeur de la voix mettent tout de suite dans l’ambiance d'”Infinity”. Les musiciens entrent sur scène, acclamés par la foule. Yann est détendu, il s’assied tout sourire à son clavier et ils jouent “Slippery Stones”.
Le groupe, irréprochable, est le même qui accompagne Yann en studio depuis “Dust Lane”: il y a Robin Allender, principalement à la basse, mais à l’instar de ses comparses sur scène, il touche à tout, de la guitare électrique au piano-jouet en passant par le xylophone. Le seul à ne (presque) pas bouger c’est Neil Turpin, à la batterie: un set minimaliste, mais un jeu impressionnant, que ce soit au pinceaux ou aux mailloches.

Ólavur Jákupsson, natif des ïles Féroé, est aux claviers, parfois à la basse, au xylophone et surtout, au chant, j’y reviendrai. Lionel Laquerrière passe des synthétiseurs à la guitare fréquemment, mais joue aussi de la basse et du xylophone. Enfin, tous participent aux chœurs.
Sur le morceau suivant “Ar Maen Bihan”, il y a une invitée de plus sur scène en la personne d’Emilie Quinquis, la compagne de Yann, qui fait la narration en breton sur la première partie de ce titre, un des plus réussis d’Infinity: sur la première partie, sur des sons de cloches minérales, Emilie récite son texte pendant que l’ambiance s’installe, la seconde partie, plus rythmée, change de style avec Yann et Lionel au xylophone. Un superbe moment, tant qu’on est client du Yann Tiersen d’aujourd’hui, qui joue avec les ambiances, les nappes de son en fond, les fuites de sons, en prenant le temps d’installer son univers.

Petite interlude de Yann – une de ses très rares interventions – pour présenter une chanson joyeuse sur la fin du monde avec le sigurrossien “A Midsummer Evening”: l’influence islandaise est belle est bien présente pour moi qui suis familier de la musique de Sigur Ros, ou a fortiori d’Amiina, le groupe de cordes qui accompagnait ces derniers sur scène. Tout les musiciens chantent, même Neil, emmenés par Ólavur, qui a vraiment une belle voix, qu’il arrive à poser au dessus de cet enchevêtrement de sons. Yann est au piano, et n’en bouge pas pour le titre suivant “P.A.L.E.S.T.I.N.E.”: quiconque à vu ce titre sur la précédente tournée sera surpris du piano: auparavant, Yann était dans un trip de rock noisy, avec plusieurs guitares électriques saturées en crescendo: maintenant, le crescendo est toujours présent, mais le groupe s’est assagi, et, à mon sens, embellit ce morceau sur lequel le groupe épelle P.A.L.E.S.T.I.N.E en boucle. Une autre grand moment de cette soirée.

Le groupe reste sur l’album “Dust Lane” avec “Dark Stuff”: Yann commence seul au melodica, sur des bruits ambiants de vents, puis passe au piano, ses musiciens s’affairant sur les claviers, Yann repasse sur la guitare électrique dans une montée en puissance qui fait trembler les murs du Splendid, et Neil Turpin n’y est pas pour rien.

On se calme. Yann reprend le mélodica, assis à son piano, joue quelques notes, et le public reconnait l’air… c’est “La Dispute”: une autre facette de Yann Tiersen s’exprime maintenant, avec cet instrumental au piano, Ólavur et Lionel faisant des chœurs tout à fait bienvenus sur ce morceau mélancolique au possible. Le public applaudit à tout rompre.

C’est ensuite “La Crise”, un autre titre plus ancien, issu de l’album “Tout est Calme” revisité par la formation 2014. Là encore, une maîtrise des ambiances, des sons, du piano qui survole tout ceci dans un beau crescendo emmené par une batterie martiale.

Changement d’ambiance avec le très sombre “Steinn”, qui n’est autre qu’une variation sur “An Maen Bihan” en version islandaise avec les voix enregistrées de María Huld Markan Sigfusdottir et Sólrún Sumarliðadóttir du groupe Amiina; eh oui, l’influence est revendiquée sur Infinity puisque Tiersen a enregistré avec le quatuor islandais. Sur ce titre, Yann prend – enfin – son violon pour jouer une nappe de son torturés. Un morceau admirablement transposé en live, peut être même un peu trop vu sa couleur sombre. Et le morceau suivant reste dans cette ambiance, du moins au départ avec des sons rappelant ceux d’une contrebasse, puis viennent le xylophone joué par Robin, et Yann joue de la cloche de jouet pour enfant. Le morceau s’éclaircit tout au long de sa progression, jusqu’à la partie chantée par tout le groupe. L’orage est passé, mais ce n’est pas encore le grand soleil…

Sur “Chapter 19” Yann est de retour au violon, et cette fois, les nuages se dégagent sur un autre des ces grands moments de live: le groupe entier chante sur ce titre, d’abord doucement, puis en y mettant progressivement toute  leurs tripes, emmenés par Ólavur: ce dernier m’a vraiment impressionné de par son chant, pas évident étant donné qu’il est sur une autre ligne mélodique que ce que tout le groupe joue. J’en avais la chair de poule. Dans ce même esprit, “Rue de Cascade”, beaucoup plus fédérateur, est revisité en quatuor de voix et piano. C’est superbe.

“Grønjørð”, chanté en féroïen par Ólavur , Yann au violon, est un autre titre qui a laissé l’audience rêveuse: également issu d'”Infinity”, on voyage par les mots et par les sons avec ce groupe qui maîtrise aussi bien le silence que le bruit.
Le titre suivant, issu de “Skyline” est une autre occasion d’apprécier le chant d’Ólavur  sur le violon de Yann, qui termine seul avant l’explosion finale, l’amenant au synthétiseur qu’il n’avait quasiment pas touché jusqu’ici: on entre dans une nouvelle phase de sons plus électroniques sur “The Crossing”, même si ça n’empêche pas Yann et Ólavur de jouer de la flûte. Le final du morceau où Yann s’amuse sur son synthétiseur, m’a semblé un peu longue, le breton faisant une transition totalement électronique  sur “The Vanishing Point” pour revenir sur “Lights”, le morceau le plus joyeux d’Infinity. Cette fois il retourne à la guitare, et le groupe au complet chante sur ce final magique, Ólavur restant sur la ligne chromatique pendant que le reste du groupe change et chante une autre mélodie. Après un remerciement furtif mais sincère, Yann et ses musiciens repartent en concert, et Yann revient seul pour un premier rappel au piano, avec le mélancolique “La Longue Route”: on pense à Tabarly, évidemment.

Second rappel, Yann est toujours seul, et sans perdre de temps, il se lève de son piano et prend son violon: dès les premières notes, le public acclame “Sur le Fil”, qui est devenu l’immanquable des concerts de Yann Tiersen. Et ça fonctionne toujours aussi bien: la première partie, mélodieuse, d’une belle construction, contraste avec la seconde, où l’archet devient percussif, le violon au supplice. C’est un grand moment, le public est en effet sur le fil.

Le groupe reviendra sur scène pour un dernier titre, dans une ambiance beaucoup plus calme avec “Till The End”, issu de l’album “Dust Lane”, pour un final onirique… Mais le public Lillois ne se contente pas des rappels prévus, et Yann reviendra une dernière fois avec ses musiciens pour nous jouer “Le Quartier”, un morceaux très court, mais très énergique.

Une belle carrière, un superbe album, un groupe parfait: un concert magistral. Bien sûr, ça n’a pas plu à tout le monde, la musique de Yann Tiersen  nécessite quelques écoutes avant de le voir sur scène, surtout si on s’attend à entendre ce qu’il faisait quand il était médiatisé. Et je suis assez content d’avoir fait ce compte rendu sans mentionner un film français de 2001. Yann c’est tellement autre chose que ça…
Yann Tiersen est l’un des trop rares artistes français qui crée, qui se fait plaisir avant tout, au risque d’emprunter des chemins peu populaires. Et ça marche, en France comme à l’étranger.

Merci beaucoup à Solenne et Erwann chez Boogie Drugstore pour l’accréditation photo.

Yann Tiersen : la setlist

Meteorites
Slippery Stones
Ar maen bihan
A Midsummer Evening
Palestine
Dark Stuff
La Dispute
La Crise
Steinn
In Our Minds
Chapter 19
Rue des cascades
Grønjørð
The Gutter
The Crossing
Vanishing Point
Rappels:
La Longue Route
Sur le fil
Till the End
Rappel suite:
Le Quartier

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